• Un jour à New-York - Solange

           Café,toasts, fruit, nous prenons notre petit déjeuner dans un bar de la 42ème rue à New York. Arrivées, mes amies et moi deux jours plus tôt, nous sommes excitées et perplexes sur notre emploi du temps. Nous ne voulons rien rater ! Ce matin-là on élabore les projets de la journée, on hésite sur l'ordre des visites des différents musées au programme. La discussion va bon train, les guides touristiques étalés sur la table, chacune convoquant l'attention des autres sur le choix et le commentaire des" visites obligées" des "sites incontournables".

            Nous rassemblons nos affaires éparses, c'est décidé, nous commencerons par le Guggenheim. Je me lève aussitôt, empoigne ma veste, empressée, je tente de saisir mon sac suspendu au dossier de la chaise... Il n'est plus là ! Vite un coup d'oeil sous la table, sur le sol, panique : papiers, passeport, billets envolés ! Prise de vertige, je chancelle, désemparée. Cette ville gigantesque me fait soudain peur, cette ville où tout peut arriver ! Je m'écroule sur mon siège, lasse, déçue, impuissante. Puis dans un sursaut d'enthousiasme, je me ressaisis. "Je vais faire un déclaration de perte au commissariat à coté et je vous rejoins au musée".

            La rue est noire de monde, girouettes et klaxons vocifèrent, des files de camions pompiers foncent dans les bouchons, les voitures s'écartent, les pneus crissent sur l'asphalte. Des ambulances aux sirènes acérées se faufilent, montent sur les trottoirs devant les piétons médusés. Du sud de Manhattan, s'élève une fumée grise, des flammes lèchent le ciel obscurci. La foule immense des curieux déferle vers l'incendie.

             Assise sur le banc de la salle d'attente, je trépigne d'impatience, le petit dictionnaire entre mes mains, je cherche les quelques mots de vocabulaire qui rendront ma démarche rapide et efficace. J'essaie d'éloigner sans trop de conviction la barrière de la langue en répétant les phrases préparées, et le temps passe...

              Les policiers, nerveux, sont rassemblés devant le poste de télévision, des cris de surprise jaillissent du groupe. Des "O" se  dessinent sur leurs lèvres que leurs mains aussitôt occultent. Ils se regardent, incrédules, des stigmates d'horreur traversent leurs visages... Je les observe, je m'agite, je soupire bruyamment, je veux qu'on me remarque, que mon attente cesse, je veux reprendre mes visites, rejoindre mes amies. Sur l'écran, des langues de feu sortent des fenêtres d'une tour, montent et envahissent les étages. Un film catastrophe ! Il ne manquait plus que ça ! Je suis outrée, j'attends là depuis des heures et eux regardent "La tour infernale" ! Je m'attends à voir Steve McQueen apparaitre, ses beaux yeux bleus levés vers le ciel ! Au lieu de cela, un avion surgit, heurte la tour et explose. Un lourd silence s'abat dans la salle, les gestes des policiers se suspendent dans l'air un court instant, puis un cri d'effroi résonne, une agitation désordonnée, confuse s'empare des hommes, les stridulations des sonneries des téléphones retentissent, incessantes. Je saute de mon siège, véhémente, je clame haut et fort que j'attends là depuis des heures, que je n'ai qu'une semaine de vacances, que je perds mon temps là à attendre la déclaration. Des yeux exorbités de fatigue et d'horreur m'intiment l'ordre de me rassoir. Je retombe sur ma chaise, scotchée,vide soudain de ma présomptueuse colère, je fixe le téléviseur, je réalise qu'il vient de se passer quelque chose d'effroyable.

           Les images défilent en boucle sur l'écran, un premier avion, puis un second, des personnes terrifiées font de grands signes, brisent les vitres, se précipitent dans le vide, les pompiers en costume d'astronautes courent dans tous les sens, les paraboles de jets d'eau luttent contre les flammes. Mes lèvres tremblent, des larmes glissent sur mes joues blêmes. J'essaie de me détacher du poste mais mes yeux restent figés.

           Il est 9h59, la tour sud s'écroule comme un château de cartes, puis la deuxième s'effondre soulevant un nuage de cendres et de poussières, horreur, le journaliste beugle son commentaire, terrorisé. Mon regard fouille le brouillard épais, recherchent des hommes, des femmes. Des visages hagards apparaissent et disparaissent dans le nuage.

           Un policier au visage creusé me tend un imprimé, mais je reste là foudroyée, mes pensées sont là-bas dans les décombres, parmi les victimes... Puis tout d'un coup le besoin de retrouver mes amies s'insinue dans mon esprit, la chaleur de ma famille me manque, il faut que je les appelle, que je les entende... Je sors en courant dans la pagaille et la cacophonie de la ville.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :