• Victor, haï de tous - Jean-Paul - Mars 2018

    Je m’appelle Victor, je suis haï de tous.

    Du plus loin que je me souvienne, on me regarde de haut. Je suis le moins que rien, celui qui n’a jamais son mot à dire, la dernière roue de la charrette.

    N’ayant jamais connu mon père, je fus élevé par ma mère avec mes frères et sœurs. Passés les jeux de la prime enfance, chacun n’a rapidement plus pensé qu’à soi et personne ne s’est plus occupé de moi. Nous avions tous trop affaire à tenter de survivre dans des conditions que vous auriez du mal à imaginer.

    Ma chance, ou du moins ce que je crus sur le moment en être une, fut d’être placé dans une famille d’accueil. Une histoire classique, couple sans enfant et n’en pouvant point avoir. Ils me reçurent comme le messie, la dernière merveille du monde, s’enthousiasmant à chacune de mes facéties, me nourrissant comme jamais je ne l’avais été, me prodiguant caresses sur caresses. Ils n’auraient pas mieux traité leur propre fils.

    Mais l’enthousiasme des débuts finit par s’étioler. Mes bêtises les amusèrent de moins en moins, les lassèrent  puis les contrarièrent. Je vis durcir leur regard et les caresses s’espacer. Je grandissais, j’étais moins drôle. Il est vrai que je ne répondais pas toujours à leurs attentes, que la propreté n’était pas mon fort et que je réussissais dans rien de ce qu’ils tentèrent de m’apprendre. Je devins le gêneur, j’étais plus une contrainte qu’une satisfaction.

    Alors je me dis qu’il faudrait en finir.

    Pourquoi s’acharner à retrouver l’amour perdu ? Il en va pour lui comme pour nous :  ce qui est mort ne peut renaître.

    L’adolescence n’est pas un âge facile, tout le monde en convient. Mais les adultes ont tendance à penser que les difficultés sont pour eux quand les jeunes vivent souvent un calvaire. C’était mon cas. J’avais besoin d’espace, de liberté ; je ne pouvais plus rester entre les quatre murs d’une maison. Je décidai de partir.

    Dehors, tout m’attirait. Je visitai le monde, ou du moins un monde à mon échelle, errant dans la ville, allant de rencontre en rencontre. Je m’acoquinai avec quelques uns de mes semblables. Ensemble, nous étions plus forts pour survivre dans la rue. Nous défendions le territoire que nous nous étions arrogé et plus d’un s’en repartit en sang et la queue basse après une tentative d’approche promptement réprimée.

    Mais la rue n’est pas tendre et là aussi je devins le souffre-douleur de mes compagnons. Pour une raison que j’ignore, mais sans doute n’en était-il pas même besoin, ils commencèrent à me montrer les dents avant de m’exclure définitivement de la bande.

    Aujourd’hui, les années m’ont rattrapé, le manque de soins a fait de moi une épave. Je parviens tout juste encore à échapper aux tournées des gens bien intentionnés qui voudraient me tirer de là pour me placer dans des lieux qui seraient, je le sais, des mouroirs. Ce n’est pas l’amour que je lis dans leurs yeux aussi préféré-je les fuir et me terrer dans un coin dont aucun chien ne voudrait et où personne ne viendrait me chercher. Pourtant, moi aussi j’aurais droit à un peu de bonheur.

    Je ne suis pas un chien !


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