• Découverte insolite - Bernadette - 04/12/2014

    La pierre perdue

     

               L’homme est debout, enveloppé dans un manteau devenu bien trop ample pour lui, son dos légèrement courbé, il paraît sans âge. Visiblement, son regard cherche quelque chose. Il se pose enfin sur un massif rocheux,  une roche bleue que le soleil caresse. La végétation luxuriante cache une entrée qu’il n’a pas oubliée.

     

                Ainsi, tel un film, ses pensées se déroulent ; il revit ses souvenirs lointains mais toujours si présents. Cruelle réalité ou apaisement ?

     

                 Il y a bien longtemps… Jean était un enfant aux yeux pétillants et vifs, révélant une volonté  très  affirmée, bien que naissante.  Ses  parents avaient rapidement décelé chez ce jeune garçonnet, un intérêt marqué pour les mille et une choses qui l’entouraient.

     

                Equipé d’une pelle et d’un râteau, outils quelque peu classiques dans les mains d’un bambin, il creusait des cavités dans le jardin dont il espérait retirer quelque chose. C’était le plus souvent un simple ver de terre ou un caillou plus brillant que les autres qu’il s’empressait de débarrasser de sa gangue terreuse pour le déposer dans une petite boîte qui ne le quittait jamais. C’était, ce qu’il appelait « sa boîte aux trouvailles ». Sa passion naissante le poussait parfois à défoncer une fourmilière qui devait, d’après lui, renfermer un trésor à voir l’allure avec laquelle les occupantes y transportaient leurs fardeaux  très souvent plus lourds qu’elles. Les creux des arbres recevaient également ses visites. Son père et sa mère se demandaient souvent où l’emmèneraient ces investigations. Une pièce de monnaie trouvée dans le sable de la plage de Bandol au cours des vacances, avait suffi à le convaincre qu’il finirait par trouver quelque chose d’intéressant s’il s’armait de patience et trouvait le bon filon !

     

                Ce désir de  « découverte » se développa avec l’adolescence et devint vite une passion.

     

                Dans le secret de sa chambre, le soir il rêvait. La mésaventure d’Edmond DANTES devenu le richissime Comte de     MONTE CRISTO  le fascinait, n’était-elle pas une bonne raison d’espérer ? Pourquoi ne pas s’imaginer égyptologue tels CARTER et CARNAVON, éblouis  devant la tombe de TOUTANKHAMON ? Oh ! certes, il n’en demandait pas autant.

     

                Cependant, un été il décida de jouer à l’orpailleur sur les bords d’une rivière supposée aurifère ; quelques minuscules pépites  l’avaient conforté dans son désir de plus en plus ardent de recherche et de découverte.

     

                Devenu adulte, il décida de s’initier à la spéléologie. Il s’inscrivit dans un club pour y apprendre les façons de procéder, les règles de sécurité qu’imposaient les progressions dans un univers inconnu et hostile.  Les grottes souterraines lui dévoileraient peut-être quelques secrets. S’estimant suffisamment instruit pour affronter cet univers insolite et tout de même dangereux,  un été,  il partit seul vers  une  nouvelle conquête. Il s’enfonça dans un étroit boyau. Il avait prévu d’y passer plusieurs jours, emportant à ce titre,  force  nourriture afin de n’être pas contraint pour une simple question d’intendance, à un repli prématuré. Mais, un évènement qu’il n’avait nullement envisagé se produisit : « la montée des eaux ». Le mince filet d’eau luisant  dans  le canyon devint vite une rivière bouillonnante.  Ne cessant de sonder la roche claire et lumineuse malgré l’obscurité, ses provisions s’amenuisaient autant que ses forces, il entrevoyait une éventuelle mort tout en ne désespérant pas.

     

                Perdant toute notion de temps,  plongé dans une nuit persistante, une faible lueur apparut soudain dans le fond du boyau ; il pensa un instant à une issue salvatrice ou à  une hallucination. En même temps, l’eau de  la rivière rougissait. Il eut le sentiment que quelque chose d’étrange  se passait. Usant ses yeux exorbités, soumis à une obscurité profonde,  il distingua enfin  la silhouette d’un homme. De l’eau jusqu’à la taille, il avançait doucement à la faible lueur de sa lampe frontale, le visage ensanglanté, vraisemblablement à bout de forces. Malgré sa marche lente et difficile, il tenait  hors  de l’eau, serrée contre sa poitrine, une musette. Maintes fois Jean  le vit défaillir,  redoutant à chaque pas une chute qui lui serait fatale.

     

                Il  alla au-devant de l’homme, s’immergeant dans l’eau glacée, les jambes rapidement engourdie. Il l’aida à regagner une dalle plate, le fit allonger et lui apporta les premiers secours. L’homme épuisé, le regard vitreux, dépassant déjà les limites de la vie, lui montra son modeste bagage, lui faisant comprendre qu’il était tout  ce qu’il possédait et qu’il contenait quelque chose de précieux. Quelques instants plus tard, l’homme rendait l’âme.

     

                Après lui avoir fermé les yeux, Jean ouvrit le modeste sac avec un peu de réticence toutefois ; il était déchiré à plusieurs endroits,  sûrement à cause d’une roche  inhospitalière contre laquelle  l’homme s’était vraisemblablement abrité. Son cœur  se mit à battre très fort. Une superbe pierre précieuse de la grosseur d’une noisette brillait de tous ses feux. Une émeraude ! Comment celui qui venait de passer de vie à trépas, avait pu arracher à la roche un tel trésor ?

     

                Jean,  sans se l’avouer, éprouva un sentiment étrange. Rêvait-il ?  Comment allait-il justifier une telle trouvaille ? Allait-il cacher la vérité ?  Lui qui n’avait pu durant sa vie au cours de  ses maints périples, dénicher quelque chose qui aurait pu récompenser ses efforts ? Ce trésor ne lui appartenait pas. Comment pourrait-il s’approprier ce cadeau qu’il ne méritait pas.  Le découvreur devait avoir une famille ; on pourrait sans nul doute la retrouver lorsque les gendarmes auraient enlevé le corps. Encore faut-il que le niveau de l’eau baisse songeait Jean. Il était tenté de s’approprier  ce caillou ; après tout, personne n’en saurait rien. Sa tête lui faisait mal ; ses oreilles bourdonnaient. Il se noyait dans des pensées tantôt optimistes, tantôt macabres.

     

                La décrue s’amorçait.  Peu à peu le niveau de l’eau baissa  faisant  espérer à Jean une sortie possible.  Le silence était pesant, difficilement supportable, seul un torrent impétueux faisait  entendre son grondement sourd. Jean prit enfin le chemin du retour. Toujours accablé par  mille pensées, ne sachant quelle décision prendre, il avançait péniblement vers une sortie  encore hypothétique.

     

                La besace refermée, Jean poursuivit sa lente progression. Soudain, dans la pénombre, il heurta un  énorme caillou  qui le déséquilibra, lui faisant lâcher le précieux fardeau  qui roula dans le torrent !

     

                Jean épuisé, sortit enfin de la caverne. Les gendarmes alertés s’occupèrent du malheureux demeuré à l’intérieur.

     

                Jean n’a jamais rien découvert. Sa passion demeura inassouvie.  Il garde pour lui cette aventure qu’il juge douloureuse et  dont il ne dévoila jamais l’existence ?  Voilà pourquoi il revient parfois rêver devant l’entrée de la caverne. Maintenant,  trop âgé pour tenter une nouvelle expédition, il pense que cette aventure l’a pourtant aidé à poursuivre une existence où rien n’est jamais acquis ! La grotte renferme sûrement d’autres trésors mais garde désormais  son  mystérieux secret.

     

    Bernadette  -  4 décembre 2014

     


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