• (Le paysage)

     

    La grotte trop étroite,

    La tribu trop nombreuse

    Les animaux à chasser de plus en plus rares

    Les arbres à fruits de plus en plus dépouillés.

    Le fourrageur s’écarte de son clan de lquelques pas, le premoier jour ; de plus en plus loin, les jours suivants.

    Vient le moment où le bruit des voix ne s’entend plus ; où la fumée des feux ne se voit plus ; où l’odeur de la vie ne se sent plus.

     

    Il est seul. Il marche droit vers le soleil. Il le regarde descendre ; bientôt, il disparaît. Le paysage devient gris puis noir.

    Alors, Nour s’arrête. La sensation de froid lui fait trouver un creux dans les touffes d’herbages du plateau ;

    Les jours suivants le retrouvent cheminant, rapidement quand ses pieds se posent sur l’herbe molle, plus prudemment quand il faut contourner roches ou arbres touffus.

    Il est étonné de la facilité avec laquelle il capture les petits animaux dont il se nourrit.

    D’autres, plus loin, le tentent mais il faudrait être plusieurs pour les capturer.

     

    Le paysage n’est plus le même : il y a de plus en plus d’espace entre les branches pour voir le soleil.

    Bientôt, il n’y a plus d’arbres.

    Devant lui, un espace jaune qui lui paraît immense s’étale sous ses yeux.

    Des tiges, toutes semblables sortent du sol. Elles portent des épis chargés de grains.

    Il en écrase entre deux pierres. Il les goûte, les mâche. La pâte est savoureuse.

    L’eau de la source lui fait confectionner une boule qu’il malaxe et fait cuire.

    C’est l’émerveillement de la découverte : le blé sauvage qui va les nourrir, lui et ceux de sa tribu.

     

    Son regard s’immobilise sur ce trésor.

    La plénitude d’un  bien-être  l’envahit


    votre commentaire
  •                        PERDUE

     

    Si, au moins, il y avait de la diversité dans cette forêt, je pourrais reconnaître le chêne qui m’a abritée du soleil un moment, le sapin à  l’écorce dure que j’ai effleurée…Mais non, des mélèzes, encore des mélèzes tous pareils, à quelques mètres les uns des autres, bien serrés pour que leurs branchages entremêlés me bouchent totalement l’horizon et m’empêchent de voir si, par chance, à l’orée de cette forêt qui n’en finit pas, il n’y aurait pas, qui sait, un village, un hameau, une ferme.

    Non, même la lumière du soleil a du mal à s’infiltrer

     

    Et  l’heure ? elle, elle passe. Bientôt, elle amènera la nuit, ici.

     

    J’étais si heureuse de partir « aux champignons » avec cousins et amis.

    O% sont-ils ? qu’ont-ils fait pour me retrouver ?

    Moi, j’ai crié ; je ne peux plus maintenant : ma voix est cassée.

     

    Marchons ; essayons de rester à l’horizontale, sans monter ni descendre.

    C’est la troisième fois que je tombe. Le sol est-il plus glissant, ici ?

    Non, c’est la fatigue qui me fait trébucher.

    La fatigue, aussi ? qui  ouvre devant moi des espaces de lumière  plus en plus clairs, de plus en plus grands .

    Les arbres sont derrière moi.

    Devant moi, c’est un champ immense tout doré.Je le contemple sans faire un pas de plus.

    Oui !!! je suis sortie de la forêt !!!

    Où suis-je ? où est le village ; je ne reconnais rien

    -«  s’il vous plaît : Le Moutaret ?

    Le paysan me regarde venir :

    -«  c’est de l’autre côté de la forêt.

     

    Ah ! non ! j’en sors !!!


    votre commentaire
  •             L’homme apparut soudain et je remarquai qu’il était pieds nus dans des chaussures fatiguées.

    Il était debout dans le couloir, près du bureau des infirmières.

    Il y avait déjà plus d’une heure que j’errais dans cet hôpital à la recherche du cabinet du diabétologue avec lequel mon ami avait rendez-vous.

    Arrivée depuis quelques semaines dans cette petite ville, je ne connaissais pas encore toutes les adresses des services administratifs, culturels et médicaux.

     

    Plus rien ne pouvait évidemment continuer comme avant.

    Je devais m’adapter, m’intégrer dans cette nouvelle vie.

    Les découvertes étaient intéressantes : j’avais été invitée à des rencontres d’associations, à des soirées dansantes, à des excursions.

    Et justement, celui qui se tenait, ce matin, devant moi, dans ce couloir d’hôpital, me rappelait un participant à  la dernière sortie : pieds nus, chaussures fatiguées, jean fendu en plusieurs endroits, cheveux longs attachés en catogan.

    Il avait beaucoup parlé, ce jour-là,racontant en détail des marches sur les chemins des volcans d’Islande.

     

    Oui, le temps passe à se remémorer ces quelques souvenirs que j’ai déjà dans cette nouvelle vie qui commence en Savoie après mon départ de Marseille.

    Mn ami s’impatiente :

    -       On pourrait peut-être demander au bureau des infirmières.

    -       Oui, allons-y .

    Nous voilà renseignés : porte A Dr. Benamou, diabétologue.

    Le couloir est maintenant désert.

    Et voilà l’homme aux chaussures fatiguées qui revient.

    -       Excusez-nous : nous avons rendez-vous avec le Dr Bénamou

    -       Oui, entrez : c’est moi.


    votre commentaire
  • SUSPENSE

     

    Suspense - Bernadette - 21/01/2016                       Par la porte de la chambre à demi ouverte, l’enfant apercevait sa mère étendue sur son lit ; elle paraissait lasse, sa poitrine se soulevait libérant un faible râle qui venait jusqu’à lui.

                           Il la savait préoccupée depuis quelques temps. Elle lui avait expliqué, en langage simple pour ne pas l’effrayer, qu’elle faisait l’objet de menaces de la part d’un employeur chez lequel elle avait travaillé et qui l’accusait de lui avoir dérobé de l’argent, ce dont elle se défendait.

                           Un homme, pénétré dans l’appartement, une mallette à la main, jeta un rapide coup d’œil autour de lui et pénétra dans la chambre, en ferma la porte brusquement privant ainsi le gamin de toute possibilité de voir sa mère dont les plaintes lui broyaient le cœur ; ses yeux se remplirent de larmes.

                           Pourquoi un tel charivari dans la chambre d’une malade ? Bruits insolites, sourds, semblables à ceux de meubles déplacés. D’une potiche brisée tombée sur le sol s’échappait un liquide qui glissait sous la porte. IL s’approcha de celle-ci n’osant pas en tourner la poignée. Des ustensiles s’entrechoquaient tandis que les cris de sa mère augmentaient s’achevant en longs gémissements.

                           Il se prit à penser qu’elle faisait l’objet d’une malveillance ; il avait entendu parler de la torture, l’imagina victime d’un boucher sanguinaire et baignant dans une mare de sang. Il pleura abondamment, le temps lui parut long, très long.

                           Son père, visiblement affolé, pénétra à son tour dans la chambre dont il ferma la porte lui en refusant l’entrée. Allait-il sauver sa mère ou devenir le complice du bourreau ?

                           Les cris cessèrent enfin. Il pensa que la grande faucheuse telle qu’elle lui avait été présentée dans un livre d’images, avait accompli sa funeste besogne.

     

                           Soudain de nouveaux cris se firent entendre mais ils ne ressemblaient pas à ceux poussés par sa mère quelques minutes plus tôt et qui lui avaient brisé le cœur.

                           C’étaient les cris de la vie bien présente dans le corps frêle d’un nouveau-né.

     

    Bernadette - 21 janvier 2016


    votre commentaire
  • « L’ALMANACH du FACTEUR »

                                                   Calendrier des P.T.T.

     

    Mythologies - L'Almanach du facteur - Bernadette - 07/01/2016            Aussi loin que j’interroge ma mémoire, il est déjà présent ; je le vois. Année après année, toujours à la même place, suspendu dans la cuisine, bien en évidence pour pouvoir être consulté chaque jour.

                Souvent, à côté de la date, étaient apposés, un point de couleur, un tiret, un signe pour attirer notre attention afin de ne pas omettre une fête, un anniversaire ou un évènement important.

                Qui était donc ce compagnon journalier, coloré, agrémenté d’une photo, d’un paysage, mer ou montagne qui nous faisait rêver tout au long de l’année ?

    Il nous indiquait les levers et les couchers du soleil, les phases lunaires, pleine lune, lune noire.


                C’était tout simplement un calendrier ! Pas n’importe lequel ; il ne ressemblait à aucun autre,   surtout pas à celui que nous offrait notre droguiste ou notre épicier ; c’était « L’ALMANACH du FACTEUR » (suivait le millésime).

    Celui-ci nous l’apportait à domicile en nous présentant ses vœux. Il recevait en échange un billet de quelques francs que Maman avait soin de placer dans un pot de cheminée, dès le mois de novembre, pour ne pas être prise au dépourvu le jour de son passage. Les sommes récoltées constituaient pour lui une sorte de prime de fin d’année, elles complétaient son salaire.

    Ce calendrier était choisi suivant nos goûts, nos préférences, fleurs, paysages, animaux ; lorsque les enfants étaient présents, c’était à eux qu’incombait ce choix.

     

    Sur chaque face, six mois de l’année étaient mentionnés. A l’intérieur, il nous renseignait sur les régions de France, les numéros des départements. Le classement alphabétique des rues de Marseille, son plan, très utile pour nos déplacements ; celui de Cassis, de La Ciotat, de Martigues, de Marignane, etc…

     

    Que représentait-il pour nous ? La continuité d’une tradition ? La fidélité à notre facteur ?

    Chaque famille avait les siens, minutieusement conservés au fil des ans. Après quelques décennies, ils étaient parfois jaunis, écornés pour avoir trop servi ! Conservés dans des cartons à la cave ou au grenier, ils faisaient partie du patrimoine. Aujourd’hui, les collectionneurs, -et ils sont nombreux-, peuvent se procurer les « manquants » dans les brocantes ou les vide-greniers.

     

    Mais pourquoi je parle au passé ? C’est vrai qu’il évoque mon enfance, ma jeunesse. Mais aujourd’hui, il n’a pas pris une ride, il demeure fidèle à ce qu’il était jadis. Il a, certes, subi quelques transformations, surtout dans les prénoms, certains de ceux-ci ont disparu, d’autres y ont trouvé leur place ; les personnes âgées déplorent parfois  ce changement.

     

    Je demeure fidèle à cette tradition, mais cela est de plus en plus difficile. Les intérimaires, les congés payés nous privent parfois de notre facteur habituel. Il faut le guetter ; s’il passe trop tardivement le soir sans s’annoncer, il court le risque d’être laissé à la porte ! Mais je trouve toujours un moyen pour le rencontrer afin de ne pas passer l’année sans « mon calendrier ».

     

    Bernadette - 7 janvier 2016


    votre commentaire
  • LA   VILLA   DE   CASSIS

     

                « Tout le monde a tué quelqu’un un jour ou l’autre »

     

                Maxime m’avait cité cette phrase il y a plusieurs années. Je n’y avais pas prêté attention, jusqu’au jour où il me raconta un épisode de sa jeunesse. Il avait été amené à fréquenter des voyous rencontrés un soir sur le port de Cassis dont la plupart se mêlaient aux trafiquants de drogue.

                Accepté par la bande, il s’était peu à peu habitué à cette atmosphère feutrée, discrète ; galvanisé par le désir de la réussite ; l’idée de l’argent facile, le taraudait.

                Les rencontres se faisaient de nuit dans des endroits toujours différents. Obligé de se plier aux volontés de ses compères, la jalousie qui se faisait jour au sein de ce groupe lui pesait parfois. Pris dans l’engrenage, il était difficile de trouver un moyen de fuir.

                Le chef de la bande se moquait de lui et de ses scrupules mal dissimulés, allant même jusqu’à le menacer !

                Un soir, le truand avait invité ses comparses dans sa somptueuse villa sur les hauteurs de Cassis. Il entraîna Maxime dans un coin sombre de cet Eden et lui montra l’emplacement où se trouverait la sépulture de celui qui le trahirait.

                Quelques temps plus tard, le propriétaire disparut ; on le chercha en vain.

                En me narrant cette histoire, Maxime me parut gêné, allant même me dire que « les innocents sont si rares qu’il faut considérer qu’ils n’existent pas ».

                J’étais persuadé qu’il était lié à cette affaire lorsque j’appris par mon quotidien que l’homme de la « villa » avait été découvert dans un coin sombre de son somptueux jardin.

     

    Bernadette – 17 décembre 2015


    votre commentaire
  • NATURE   AGRESSIVE

     

             Les marcheurs engagés sur le sentier sinueux du Col des Montets, étaient loin de s’imaginer ce qu’ils allaient devoir affronter. La nature feutrée leur offrait un petit paradis sous un ciel peut-être un peu trop bleu.

                Le paysage changea ; la moraine apparut offrant un dédale dangereux, solide cependant, mettant les pieds des randonneurs à rude épreuve.

                Se présentèrent les premiers névés qu’ils contournèrent évitant quelques fines crevasses pareilles à des éraflures sur un tissu cotonneux.

                L’ascension qui avait duré plusieurs heures leur permit d’arriver sur un piton rocheux. La vue splendide qui s’offrait à leurs yeux, libérait des couloirs enneigés. Un bouquetin s’enfuyait sautant avec précipitation sur des rochers apparents suivi par ses congénères. Pourquoi cette fuite précipitée ? Les animaux auraient-ils flairé quelque chose d’anormal, un danger imminent dans cette nature apparemment paisible.

    Soudain, un tremblement sourd comme sorti des entrailles de la terre, une sorte de tonnerre défiant l’azur ; l’avalanche était là, toute proche. Dans ce vacarme infernal la peur les envahit. Voyant la mort en face, s’imaginant terrassés, roulés dans un immense linceul déployé par une nature débridée, méchante dévoilant tout-à-coup un aspect inattendu, ravageur.

    Epouvantés par ce déferlement contre lequel ils étaient impuissants, ils assistèrent à l’agonie de la forêt dont les arbres semblables à des membres arrachés après d’atroces tortures laissant des corps sans vie d’où les plaintes de douleur s’étaient tues.

                Des rochers éclatés roulaient lourdement émettant des grondements puissants, assourdissants. Vision d’apocalypse lorsqu’un chalet désarticulé, brisé, éventré, vidé de son contenu, passa devant eux emporté comme fétu de paille dans ce torrent de neige et de gravas. Puis, dans un tourbillon d’une grande puissance, la neige en suspension vint recouvrir ces débris comme pour camoufler l’horreur de cette tragédie, voulant en effacer le mal qu’elle venait de provoquer. Comme sur un champ de bataille, la poussière et la poudre auraient recouvert le lieu pour en masquer l’atrocité et la laideur.

     

    Bernadette -       19 novembre 2015


    votre commentaire
  • CONFORMISME - ANTICONFORMISME

     

    Entretien d’embauche

                                                        

    Les candidats, aux curriculum vitae élogieux pour la plupart, se pressent devant le siège de l’Entreprise qui recrute. Barbes de trois jours, tatouages, piercings. Néanmoins, ils sont reçus, écoutés ; les patrons ne sont pas aussi obtus qu’on veut bien nous le faire croire.

                Les ouvriers certes compétents, déballent leur savoir-faire ; il n’y a qu’une place pour plusieurs concurrents. L’interlocuteur parle de l’horaire matinal qui devra être respecté pour se présenter sur le chantier. L’enthousiasme s’effondre ; pas question de se lever si tôt ! C’est à se demander s’ils ont besoin de gagner leur pain…

                Celui qui est retenu a la cinquantaine ; il faut en passer par là, c’est ahurissant.

                Voici venu le tour d’un jeune « cadre dynamique » comme on les nomme ; il n’a de dynamique que le nom avec son jean délavé, ses cheveux en broussaille, une cravate au nœud décentré, sortie à la hâte d’un tiroir.

                Pauvre France, voudrait crier le chef d’entreprise chargé d’engager un nouveau collaborateur ! Les rôles s’inversent . Ce n’est plus lui qui pose les questions, au contraire c’est lui qui doit répondre.

                Le postulant interroge : quel sera mon salaire ? Il veut bénéficier immédiatement de celui d’un cadre supérieur aux décennies d’expérience. Les congés payés à quelles périodes ? Aurai-je droit à une voiture de fonction ?

                Je crois rêver pense le recruteur. Dans quel pays sommes-nous . ? Comment allons-nous relever la France après la crise, si toutefois elle se termine un jour, avec des jeunes aussi peu motivés ?

                Pourtant notre pays compte des gars qui sûrement se démarquent et veulent faire partie de l’élite ; mais où les trouver ?

                Les entretiens se terminent souvent par un « on vous écrira » !

                Par bonheur le candidat suivant est une candidate ! Charmante, délurée, aguichante même. Déception ; elle paraît s’intéresser à tout autre chose qu’au travail : l’ambiance, les animations du Comité d’Entreprise, le salaire bien sûr… Le syndicat. Le patron se demande à quel énergumène il a à faire. Sous ses yeux, un curriculum vitae aux fautes d’orthographe multiples achève de le convaincre, il ne l’engagera pas.

    Sa journée a été inutile, peu de candidats motivés ! Pourtant, il ne désespère pas de tomber sur la perle rare. La France n’est pas aussi « moche » qu’on veut bien nous le faire croire.

     

    Bernadette – 17 septembre 2015


    votre commentaire
  • Le village de St. Marcel, ils le connaissent bien ; ils y passent souvent pour se rendre à Aubagne. C’est au cours d’une promenade pédestre, qu’Emilien entraîne sa jeune épouse Frieda découvrir le lieu où a vécu sa grand-mère, il y a bien longtemps.

    • « Nous allons passer sur le pont du canal, emprunterons le chemin pierreux à l’orée du bois ; nous serons vite rendus.

     

    • « Crois-tu que cette route goudronnée se perd dans la nature » ?

    demande Fridda, étonnée de se trouver dans un lotissement.

    Jusque-là,  le parcours n’a subi que peu de changement ! Mais Emilien se rend à l’évidence, il ne reconnaît plus rien ! Du chemin bordé de ronciers aux mûres succulentes qu’il cueillait en sautillant, aucune trace ; disparue l’ancienne carrière où jouaient des nuées d’enfants. Seule la croix au sommet du mont St. Cyr rappelle fidèlement aux habitants leur libération pour laquelle ils l’ont érigée.

    Rien désormais, ne laisse deviner qu’une maisonnette ait pu exister à cet endroit, avec son petit jardinet que mémé Paulette cultivait avec tant de soin ; et le poulailler ? le clapier ? Pourtant c’est bien là qu’elle a élevé seule son fils François ! Même l’odeur des résineux a disparu ; les cigales se sont tues. Perdu sous une épaisse frondaison, le château « maudit », ainsi que le nommait sa grand-mère, n’est plus visible.

    • « Pourquoi  maudit » ? interroge Frieda
    • « sûrement parce qu’il lui rappelait la guerre, sa réquisition par l’armée allemande et son occupation », répond Emilien.

    Tout enfant, il a souvent questionné sa grand-mère sur sa jeunesse, sa vie dans ce coin retiré. Elle feignait de ne pas l’entendre et ne répondait jamais à ses questions, préférant se taire, éludant de son existence ce passage douloureux qu’elle ne pouvait oublier, se réfugiant derrière cette phrase : « c’était la guerre » !

    Emilien cherche, en vain, ce qui aurait dû lui rappeler son enfance. Il s’en émeut, s’en excuse auprès de Frieda

    Désormais, il continuera à ne retenir de ce lieu, que le regard triste de sa grand-mère aux yeux délavés par les larmes qui avaient creusé sur ses joues, de profonds sillons ; son dos voûté pas seulement par le poids des ans, mais par ce terrible secret, qu’elle a porté toute sa vie…

     

                                       -o-o-o-o-o-

     

     

    Les parents d’Emilien, François et Claudette ont choisi de demeurer à St Loup après leur mariage en 1967. Le jeune marié, ébéniste de son métier, ayant trouvé du travail chez un artisan, Monsieur ARNAUD.

    Emilien est né dans cette bourgade en 1970. Il y passe une enfance heureuse dans une famille modeste mais chaleureuse. Il fréquente l’école primaire du quartier où il est un bon élève. Son tempérament vif, voire belliqueux, supporte difficilement les plaisanteries de ses camarades qui l’appellent « le norvégien » à cause de ses cheveux blonds et de ses yeux bleus  hérités de son père.

    Son père, il l’admire, sans trop savoir pourquoi, peut-être pour sa rigueur et sa patience. Emilien se demande souvent pour quelles raisons ses lectures sont axées essentiellement sur les récits de la seconde guerre mondiale. Il paraît avoir une prédilection pour cette époque. Dans les rayonnages de sa modeste bibliothèque, se trouve en bonne place un livre sur la Bavière offert par son épouse ; il le feuillette souvent.

    A son entrée au collège, sur ses conseils, Emilien apprend la langue allemande. Ses études terminées, le CAPES en poche, il devient professeur d’Allemand au Lycée Marcel Pagnol à St Loup.

    Il rejoint parfois Robert, un camarade connu à la Fac qui habite Aubagne. Ensemble, ils partagent les mêmes passions, l’escalade et les randonnées dans les calanques marseillaises. Robert lui parle parfois d’Amélia.

    Emilien pratique le judo ; aime la grande musique. Il se plait à passer de longs moments dans sa chambre pour méditer et réfléchir. Pourquoi sa grand-mère s’était-elle refusé de parler de sa jeunesse ? Pourquoi son père est--il muré dans un silence déconcertant, semblant cacher une blessure qu’il ne dévoile pas.

    I

     

    François est gravement malade. Il se remémore ce que sa mère Paulette, lui a révélé le jour de ses seize ans, il décide qu’il est temps d’en informer Emilien : 

     

    • «J’avais dix-huit ans en 1943. Malgré une époque difficile, en pleine occupation, comme toutes les jeunes filles, je rêvais au Prince Charmant. Comment le rencontrer dans ce coin de colline où seul le travail comptait ! Un jeune soldat allemand, dont la garnison était basée au Château de Forbin, réquisitionné, passait tous les jours devant notre maison, une petite distance nous séparait.
    • Nos rencontres devinrent journalières, assidues, préméditées. Il était très beau ; nous étions amoureux. Nous avons échangé nos photos, il me parlait de son pays, de la beauté des Alpes bavaroises.
    • A la suite de cette relation, un enfant s’est annoncé, c’était toi. Apprenant l’évènement, Hans, c’est ainsi qu’il se nommait, a disparu ; je ne le revis jamais. A ta naissance, j’ai cru bon de dire que ton papa avait été tué au combat.

     

    J’ai tellement pleuré. Mais c’est en 1945 que je subis un affront cuisant, mon crâne a été rasé ; c’était le sort qui était réservé aux jeunes femmes qui avaient eu des relations avec l’ennemi. Mortifiée au plus profond de mon cœur, je garde un souvenir amer de ces quelques mois de bonheur payés si cher ».

     

     

                François, épuisé, eut le temps de remettre à Emilien un papier sur lequel étaient griffonnés quelques noms : Hans WURTZ, Obérau, lac Walchensee. Puis, demandant à son fils de faire ce que lui n’avait pu réaliser « venger sa mère », il l’embrassa et rendit le dernier soupir.

    Emilien accablé, affligé par cette terrible nouvelle, tient enfin la clé de l’énigme. Il lui appartient maintenant de venger cette grand-mère qui a tant souffert. Qui doit payer ? Celui ou celle qui lui a rasé le crâne ou ce soldat qui l’a déshonorée ? Il doit être bien vieux s’il est encore en vie, songe Emilien !

                Il décide de se rendre en Bavière. Il maitrise la langue. Il y fera de la randonnée, cherchera à obtenir quelques renseignements sur cette famille.

     

                De ce projet, il en parle à ses amis, Robert et Amélia ; il sait qu’il peut compter sur leur discrétion ; Amélia est une « brave » fille. A son tour, elle lui raconte que sa grand-mère, elle aussi, a eu un enfant d’un inconnu français. Après avoir perdu tous ses biens pendant la guerre civile espagnole de 1936, où ses titres de propriété ont été brûlés, elle est venue en France, dans le Languedoc.

                Emilien, scandalisé par ce récit, incite ses amis à rechercher au cadastre du village de ROSAS en Espagne, le propriétaire de ces parcelles acquises indûment.

     

    Ainsi qu’il l’avait décidé, Emilien trouve le village d’Obérau. Il interroge discrètement les habitants, sans en obtenir cependant des renseignements concrets !

    • « Des soldats se sont-ils rendus dans le midi de la France, au cours de la guerre 39/40 ? en sont-ils revenus ? »

     

    Il confie à Frieda, la jeune fille qui gère l’Office du Tourisme, qu’il trouve charmante, que son oncle avait connu un certain Hans WURTZ à qui il fournissait discrètement un peu de vin, (pure invention) pendant l’occupation et qu’il serait heureux de le voir. Ils échangent leurs adresses. Frieda lui promet de l’aider dans ses recherches ; tâche qu’elle croit être noble.

     

                La jeune fille écrit à Emilien pour lui faire part du résultat de ses investigations.

                Hans WURTZ est bien natif du village d’Obérau. Orphelin, il a grandi auprès d’une tante qui l’a recueilli ; c’est la raison pour laquelle, à l’âge de dix-huit ans, il s’est engagé dans l’armée.

    Après sa démobilisation, il a travaillé à Munich. Depuis sa retraite, il est gardien d’un refuge éloigné dans les Alpes bavaroises.

    Est-ce possible songe Emilien ? Cette nouvelle le remplit d’aise. Si cet homme est celui qu’il cherche, il peut accomplir ce qu’il a promis à son père en l’entraînant dans une ballade dont il ne reviendra jamais. Ces montagnes aussi dangereuses que belles, ne sont que dédales de crevasses et de rochers.

    Après une longue marche, Emilien arrive au refuge « l’EDELWEIS », perdu dans ces montagnes inhospitalières. Il entre. Sur un mur, recouvert de cartes postales, il découvre une photo dans un médaillon, identique à celle qu’il avait vue si souvent chez son père : « sa grand-mère ».

    -------------------------

                Il ne peut retenir son émotion et quelques larmes roulent sur ses joues. Un jeune homme dans le refuge lui dit que le gardien Hans WURTZ absent ce jour-là, sera là dans quelques jours.

    Emilien revint. Il trouva le refuge désert, l’occupant avait disparu emportant la photo. Hans WURTZ renseigné sur les recherches effectuées par ce touriste marseillais, le trouva bien curieux, douta de sa bonne foi, lui prêtant même de mauvaises intentions puisqu’il avait découvert l’homme qu’il cherchait ; il prit peur et s’enfuit.

     

    On le retrouva une semaine plus tard, sur un glacier, tenant dans sa main le médaillon. Il avait cessé de vivre.

    Emilien revint à Oberau, pour épouser Frieda.

     

    FIN DE LA PREMIERE VERSION

     *

    DEUXIEME VERSION :

    A partir des --------------------

     

                Emilien ne peut retenir son émotion et quelques larmes roulent sur ses joues. Soudain, l’homme tant recherché, un vieillard, apparaît sur le seuil ; voyant Emilien bouleversé, il s’empare du médaillon, sort du chalet précipitamment, s’enfuit aussi vite que ses vieilles jambes le lui permettent. Il veut fuir ce jeune homme venu sûrement pour le surprendre, assouvir une vengeance qu’au cours de sa vie il a toujours imaginée et redoutée.

                Arrivé sur le glacier, au bord d’une crevasse, Hans s’arrête, il sait qu’il va mourir, serre fortement le médaillon sur son cœur. Emilien le rattrape enfin, il ne sait comment faire, il craint de manquer à la promesse faite à son père s’il laisse la vie sauve au fuyard. Celui-ci lui dit qu’il a toujours aimé Paulette, qu’il ne l’a pas oubliée et qu’il regrette de l’avoir abandonnée.

                Emilien est perplexe. Il voit l’homme glisser doucement vers la crevasse, il ne peut l’aider ; il lui révèle qu’il est son petit-fils ; son regard se fait doux, compatissant. Hans lui sourit enfin, dans les yeux d’Emilien, il lit le pardon.

    Emilien revint à Obérau pour épouser Frieda.

     

    Bernadette -   mai / juin 2015

     

    (Robert et Amélia sont des personnages importants du récit de Josette)


    votre commentaire
  •      José prit la tête de la petite troupe, machette dans une main, boussole dans l'autre. Ils progressèrent plus de deux heures par une chaleur moite, enjambant de petits buissons et de hautes herbes, contournant des souches mortes et de grands arbres d'où tombaient des lianes enchevêtrées, escaladant des amoncellement de végétaux putréfiés dont l'odeur les prenait à la gorge.

         Parvenus à une sorte de clairière, ils s'affaissèrent après avoir jeté leurs sacs à dos, sans pouvoir émettre d'autre son qu'un long souffle semblable à un râle. Derrière eux, des bruissements végétaux, des glissements, des sortes de chuchottements firent un temps écho à leur marche. Et puis plus rien. Même les cris rauques des oiseaux qui les avaient accompagnés depuis le départ, s'étaient tus. José contempla les participants l'un après l'autre. Il en manquait deux.

         Tout en appelant, il s'engagea sur la trace ouverte par le passage du groupe, qu'il remonta tout en examinant les côtés, aussi loin que son regard pouvait pénétrer la sombre végétation. De minces pistes d'animaux se perdaient sous d'épais taillis. Ca et là, des tas de plumes et de petits ossements témoignaient des drames de la nature.

         José finit par atteindre les véhicules qu'ils avaient laissé au départ de leur expédition. Les pneus en avaient été lacérés et tout autour, des empreintes de roues différentes des leurs avaient profondément marqué la terre meuble.

         Il revint en hâte vers le groupe, qu'il trouva en grande effervescence. « Maria s'est éloignée et n'est pas revenue » cria l'un dès qu'il l'aperçut. « Paco et sa femme sont allés voir, mais on ne les a pas revus non plus » ajouta un autre.

         Ils n'étaient plus que quatre ! Le silence était maintenant total, la nuit avait commencé à tomber, sculptant sur un ciel rougeoyant les silhouettes des arbres morts qui entouraient la clairière. Plus haut, de grands oiseaux noirs planaient comme des ombres maléfiques.


    votre commentaire
  •  

    Le goût : il faut l’aimer : doux et amer à la fois, plus ou moins prononcé ; la dénomination : vierge, première pression à froid. Chaque mot a son poids.

     

    Pendant la guerre, la cousine Lalie nous servait une salade de pois chiches à l’huile d’olive : Ba…. ! il fallait apprécier cette denrée riche, rare.

     

    Le régime alimentaire crétois, modèle, d’après la diététique, d’alimentation parfaite, est à base de légumes préparés à l’huile d’olive pour accompagner la viande condiment.

     

    Richesse d’une région. La maladie qui atteint les oliveraies en Italie est une catastrophe. En 1956,, c’était le gel, ici. La vitalité extraordinaire des souches leur a redonné vie.

    Une merveille : vue de la colline qui domine le village, la plaine de Mouriès étale ses centaines d’oliviers.

     

    Les soins à apporter aux arbres : la taille qui doit bien  modeler la couronne pour que  l’alouette puisse y passer sans que ses ailes touchent les branches comme le veut la tradition.

     

    Et quand novembre arrive, l’activité des moulins à huile se met à « tourner »

    Les olivades rassemblent toute la famille. On fixe la date longtemps à l’avance pour que tout le monde soit là : c’est une journée de plaisir et d’affection. 


    votre commentaire
  • Mythologie - Le pavé parisien - Jean-Paul - 07/01/2016Le pavé parisien a paradoxalement une représentation fort éloignée de celle d’un objet que l’on foule aux pieds. On bat le pavé comme on bat la campagne et le plus souvent on s’y écarte des sentiers battus. Car le pavé contient sa propre frontière : il y a ceux qui tiennent le haut du pavé, la partie de la rue qui reste propre et sèche, tandis que les autres sont repoussés sur les côtés, là où roulent les eaux usées et les immondices. Frontière éminemment sociale entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, ceux de la haute et le bas peuple.

    Le pavé se fait accueillant pour les marginaux comme la fille qui l’arpente et qui en fait son lieu de travail. Celui qui dérape socialement risque de se retrouver sur le pavé, et l’on en menace l’enfant qui ne tient pas le rôle de bon élève, bon fils, bonne fille que l’on attend qu’il remplisse. Tu finiras sur le pavé !

    Cet ami de celui ou celle qui transgresse l’ordre social est devenu arme et moyen matériel pour l’érection d’une nouvelle frontière entre les mêmes groupes mais cette fois décidée par ceux d’en bas : le pavé se fait barricade et le vulgaire peut ainsi à son tour tenir le haut du pavé d’où il contemple les défenseurs de l’ordre dominant, lesquels sont contraints de lever la tête pour regarder ceux qui à présent les dominent. La position plus élevée permet alors de lancer les pavés, non pas dans la mare où il s’agit simplement de créer des remous et des ondes durables, mais sur les agents de la force publique qui tentent de réduire la barricade en balayant les pavés. Projectile redoutable lorsqu’il atteint son but, propulsé par la main dans laquelle il se cale à la perfection.

    Un nouvel horizon peut apparaître suite à l’arrachage des pavés : l’espoir d’une liberté gagnée par l’insurrection, liberté matérielle symbolisée par le sable étendu en couche avant d’y caler les pavés lors de la création de la chaussée. Le sable est la plage des désirs de l’arracheur de pavé, éleveur de barricades.

    La classe dominante a décidé d’engloutir le pavé plutôt que de l’éradiquer. Des flots de bitume noir, uniforme lisse et silencieux ont été déversés pour effacer le symbole et l’instrument de la transgression insurrectionnelle, ajoutant un obstacle supplémentaire pour ceux qui rêvent d’atteindre la plage.

     

    Jean-Paul - 7 janvier 2016


    votre commentaire
  •                                                      Le 6 janvier 2016-01-05

    «  Tout le monde a tué quelqu’un un jour ou l’autre

     

                                                          SOIREE TRAGIQUE

     

    La chaleur avait été particulièrement torride, ce jour-là : une calorassa d’estiu !

    La fraîcheur avait été particulièrement tardive ce soir-là.

    Aussitôt, j’avais ouvert la fenêtre en grand et IL en a profité pour s’introduire dans la cuisine.

    Je ne l’ai pas vu tout de suite : c’est  quand il a heurté le pied de la table que je l’ai entendu.

    Une ronde effrayante a commencé autour de la table ; plusieurs fois, il m’a touchée ; je l’ai repoussé de toutes mes forces ; je réussis à me rapprocher de la porte. Aurai-je le temps d’aller chercher mon arme. Aurai-je le courage de tuer ?

    J’ai mon arme en mains.

    La première décharge le fait vaciller. Il me poursuit dans le couloir. Faudra-t-il que je saute du balcon pour lui échapper . ?

    A la deuxième décharge il ralentit sa marche vers moi. Mais il réussit à m’atteindre : je suis touchée : j’ai la joue en feu.

    A la troisième décharge, il est enfin à terre, inanimé.

    Est-il mort ? et moi sauvée de l’agression ?

    Il faut aller jusqu’au bout. Je m’approche prudemment : il ne fait aucun mouvement.

    Je ne domine plus ma peur et ma fureur : je saisis le lourd presse-papier et je martèle sa tête : j’entends les craquements des fractures ; je piètine de tout mon poids son corps. Un lliquide noir s’échappe  de ses ailes de dentelle déchiquetées, de ses élytres brisées, pulvérisées.

    Je suffoque : les décharges du pulvérisateur me coupent le souffle.

    Je reste là, immobile,….désolée.

     

    Les innocents sont si rares que nous considérons qu’ils n’existent pas

     

    Comment ai-je pu confondre un frelon avec un brave hanneton ? car c’était bien un hanneton qui s’était introduit chez moi sans intention mauvaise ; il n’en a pas la capacité.

    Que n’était-il  resté au cœur de la rose du jardin !!

     


    votre commentaire
  •                                   Ils cavalaient derrière le chat

     

     Tout le monde a tué quelqu’un un jour ou l’autre. Ne vous méprenez pas, c’est notre jargon de thérapeute. Tout ça reste virtuel.  Vos confidences doivent vous éclaircir et vous redonner confiance. Vous vous reprochez un crime ?  Il est de mon devoir de vous dire qu’il n’est pas rare après avoir supporté la longue agonie de  votre femme de ressentir un tel malaise. Des jours entiers vous avez accompagné ses souffrances sans jamais pouvoir les soulager et vous vous sentez responsable. Vous avez fait ce que vous avez pu. Son décès  ne vous transforme pas en criminel. Alors pourquoi vous accusez- vous ? Ah ce n’est pas de votre femme dont vous parlez ? Pardon ? De rats ?

      D’une bande de rats qui courraient dans votre grenier, qui vous empêchaient de dormir, qui cavalaient même derrière votre chat ? C’est de ce crime-là dont vous me parlez ?  La semaine dernière vous me confiez être incapable de faire du «  mal à une mouche », c’est votre expression. Vous m’avez même raconté qu’enfant, la vue d’atrocité infligée à un animal vous rendait nerveux et triste. Vous êtes même allé jusqu’à m’expliquer que cette empathie envers la cause animale découlait directement de vos croyances plus ou moins obsessionnelles. Dans une de vos vies antérieures vous deviez être souris. C’est bien ça, souris ? Et donc devant cette invasion vous avez préféré laisser agir votre femme ? Non vous, vous auriez préféré un dératiseur, mais c’est elle qui a décidé de s’en charger et vous n’avez pas eu la force de l’en dissuader… Elle s’est procurée de la mort aux rats et a disséminé ces petites pastilles rouges dans tous les recoins des combles. Une semaine après c’était une véritable hécatombe ! Ils étaient coupables ? Ils vous empoisonnaient la vie ? Oui, oui, j’ai noté votre remarque. « Les innocents sont si rares que nous considérons qu’ils n’existent pas ». C’est ça ? Une semaine après, ce génocide, c’est encore votre expression, vous a rendu perplexe. Vous avez observé votre femme remiser ces petits corps desséchés et désarticulés dans une poche en plastique. Vous avez mesuré  sa satisfaction, sa détermination, sa jouissance tandis qu’elle se penchait sur ses cadavres décharnés, ses yeux brillaient, ses lèvres humides scintillaient, sa main gantée les soulevait par la queue, les soupesait et sa voix nasillarde ricanait. Une autre image d’elle que vous ne connaissiez pas. Trente ans de vie commune et vous me dites découvrir ses gestes et cette attitude que vous qualifiez de « cruels ». Mais n’étaient-ils pas nécessaires ? Vous m’aviez déjà parlé de son autorité ? Voire de son autoritarisme ? Vous n’aviez jamais dénigré ses comportements, je ne comprends pas votre surprise, votre dégout ? Vous avez eu peur ? En fait sa manière de prendre les choses en main vous a effrayé ? Vous n’avez pas su réagir ?  Qu’avez-vous fait ? Vous avez remis de l’ordre dans la sous-pente, rangé le poison dans une boite de fer blanc comme elle vous l’a ordonné. Vous avez dessiné sur le couvercle une tête de mort et d’un marqueur épais inscris le mot « danger ». Et vous l’avez oubliée…

      Et donc depuis la mort de votre femme tout cela vous revient à la mémoire. Les rats, le grenier, son visage résolu et déformé, ses yeux froids et déterminés, sa certitude, son efficacité, sa radicalité, les petites pastilles rouges et la boite !


    votre commentaire
  •                         Incendie

     Une étincelle, un éclair bleu-gris au-dessus du mont, la longue robe rouge, flamboyante de la gitane commence sa danse. Chorégraphie savante, elle se dresse, fière et virevolte dans les ténèbres, talon-pointe, talon-pointe, flamenco endiablé. Les plis de sa jupe  sombres se soulèvent, s’arcboutent sur les arbustes, les recouvrent et les avalent. De petits pas en pas chassés, ses jupons jaunes volent et grimpent le revers de la colline. De grandes enjambées de  volants de napalm s’échappent, dévastent les vallons, poursuivent leur curée, volontaires, puissantes. Elles ne laissent à l’arrière que des fantômes auréolés, mantilles de dentelle, des squelettes aux gants noircis, des zombies qui étirent leurs branches fumantes. Les étoiles rousses des cendres scintillent dans la progression de la danse, elles couvent, faim inassouvie, en embuscade. Des pas lascifs, séducteurs et soudain le corps se cambre, passion dévoreuse, dévorante, elle se crispe sur le pin, l’embrase et éructe un hoquet de vapeur bleutée.

    Un staccato de crépitements scande les abîmes. Des craquements de branches déchirent le voile violet de la campagne tandis que la plainte du fado gémit dans la coulée sombre des braises. Les fragrances de coques grillées, de moisis fondus, d’essences végétales brûlées, asphyxient les vallées recouvertes d’un rideau de fumée opaque, fournaise, draperie macabre. Incendie, danse effrénée.  Bras levés, mains torturées, prières implorantes envahissant la terre, léchant  les cieux. Et toujours le tactac des castagnettes de plus en plus rapide et enivrant entre dans la ronde et réveille le feu rampant. Une vigueur nouvelle dans la colonne, dans les épaules, et toujours les soubresauts de la longue robe rouge des flammes…


    votre commentaire
  • - Tout le monde a tué quelqu’un un jour ou l’autre.

    Avant même de naître, chacun porte sur la conscience, qu’il n’a pas encore, l’élimination de milliers de vies possibles. Votre première expérience de ce qui sera votre vie est une lutte à mort contre vos congénères, dans le court voyage qui vous conduit, noyés dans une glaire visqueuse, d’un corps obscur et chaud à un autre corps pareillement obscur et chaud, au travers de conduits tortueux et sans même entrevoir la moindre lueur, au moins dans l’immense majorité des cas. Dans cette gigantesque bousculade, la lutte est sans merci. On y jouerait volontiers des coudes si l’on en avait. Il s’agit d’écarter ses voisins, de se glisser vers l’avant de la meute, de s’immiscer dans la masse grouillante des anonymes qui ignorent encore, comme vous l’ignorez vous-même, qu’il n’y aura qu’un élu et que vous serez celui-là.

    - Enfin vous touchez au but mais vous n’êtes pas tiré d’affaire.

    Le temps vous est compté, la concurrence presse derrière vous, il vous reste à forcer le passage, à le forcer rapidement, avant que quiconque ne vous précède. C’est l’affaire d’un instant. Et à cet instant où vous pénétrez le saint des saints, vous éliminez froidement tous ceux qui ont lutté à vos côtés, sans un regard en arrière. Les innocents sont si rares que nous considérons qu’ils n’existent pas. Et de fait ils n’existeront jamais, leur courte présence ne les conduisant à rien qu’un néant d’où ils n’ont été tirés que pour vous porter, vous entraîner, comme ces cyclistes, équipiers de bas étage, qui s’extraient de temps à autre du peloton pour entretenir le rythme, fendre le vent ou relancer la machine au profit des quelques maîtres qui s’économisent dans leur sillage pour à la fin surgir et franchir la ligne en vainqueurs.

    - Vous êtes le vainqueur.

    Vous êtes celui qui a franchi la ligne avant les autres, celui qui montera sur le podium et obtiendra pour trophée un long séjour paradisiaque, logé, nourri, choyé. Vous vous habituerez à votre nouvelle vie, vous n’aurez aucun remord, pas une fois vous ne penserez à l’hécatombe dont vous fûtes coupable et à laquelle vous devez votre existence de rêve.

    - Les meilleures choses ont une fin.

    Vous apprendre brutalement que vitre séjour ne sera pas éternel et que de nouveaux combats vous attendent. Vous serez alors chassé de votre éden, malmené, pressé, écrasé, poussé, tiré et vous émergerez dans un froid terrible et aveuglant qui vous arrachera vos premiers cris et vos premières larmes. Pour vous venger de cette épreuve, il arrivera que vous preniez soin de vous accrocher suffisamment violemment à ce qui vous avait porté et qui maintenant vient de vous expulser pour lui prendre la vie dont vous tâcherez ensuite de faire bon usage.

     

    Jean-Paul - 17 décembre 2015


    votre commentaire
  • Enfin le col est atteint.

    La montée a été pénible, les yeux rivés sur le sac à dos de Jean-Luc qui me précédait : surtout ne pas se retourner sur le paysage d'en bas, sur le vide.

    Le col est atteint.

    - Au bas de la pente, vous verrez le lac, l'espace vert où nous camperons;

    Au bas de la pente. Reste à la descendre, cette pente. Pas de sentier pour guider nos pas ; pas d'arbuste à quoi s'accrocher. Une immense surface de blocs rocheux empilés nous attend. Aucun autre itinéraire ne nous est offert. Il faut affronter ces pierres amoncelées, ces roches concassées, ces dalles dispersées : certaines se dressent, acérées ; leurs bords tranchants prêts à déchirer les mollets nus. D'autres, aux formes arrondies, douces au toucher nous attirent ; mais, pernicieuses, elles sont, quand elles se mettent à rouler sous le pied qui a eu l'imprudence de se poser sur elles : attention, l'entorse! Au regard, cette large pierre plate est rassurante : y poser les deux pieds pour quelques secondes de répit c'est dangereux : la pierre trahit ; elle bascule : la chute est inévitable.

    Poser un seul pied sur chaque pierre est un exercice d'équilibre incertain ; chercher des yeux la place du pas suivant : la prudence demande du temps. La distance à parcourir encore est décourageante...

    Et le lac nous apparaît! Une immense pelouse l'encercle.

    A quelques mètres du bord, la petite tente est dressée.

    Plus près, quelques branches enflammées crépitent.

    Encore quelques pas et une douce odeur de thé nous arrive avec le sourire de Jean-Luc qui nous regarde faire nos dernières enjambées


    votre commentaire
  •      Quand elle parvint, essouflée, à ce flanc de colline où elle espérait trouver refuge, la nuit commençait à tomber. Au fur et à mesure qu'elle grimpait dans les argelas aux mille doigts ascérés et enjambait des amas de pierres aux arêtes tranchantes, elle sentait se resserrer autour d'elle un cauchemar minéral dont les sombres profondeurs laissaient échapper quelques arbustes rabougris qui imploraient le ciel de leurs bras décharnés.

         Plus haut, un pin solitaire avait arraché son squelette frémissant au chaos de pierres jeté là par quelque démiurge, et contemplait cette lutte impitoyable d'un monde encore vivant, contre un monde déjà pétrifié. Un spectre calcaire rattrapait une racine en fuite, la muraille rocheuse élargissait sa fêlure pour haper une branche égarée, une dalle déchiquetée broyait un rejet qui saignait de sa jeune sève, les pierres éclatées au sol étouffaient les quelques graines porteuses d'espoir.

     

         Et le vent se leva, torturant les branches les plus hautes avant de fondre sur les buissons frémissant d'horreur. Cette nature longtemps silencieuse fut envahie de soupirs, gémissements, sanglots, grondements, supplications et hurlements aigus, rauques ou ténébreux. Une cohorte d'êtres soudains animés faisait monter dans la nuit des cris à résonnance humaine.


    votre commentaire
  • MES LUNETTES

     

                Un rayon de lumière pénétrant dans ma chambre me tire du sommeil. En fermant un peu les paupières, les cristaux liquides de mon radioréveil m’indiquent l’heure sans avoir à ajuster celles qui désormais sont mon tourment quotidien « mes lunettes ». Où sont-elles ? Sûrement sur la table de chevet ou sur la coiffeuse.

                En me levant, pour éviter une chute, je dois les « chausser ». Voilà qui est fait. Je ne vais pourtant pas les garder sur mon nez, je n’en ai pas besoin continuellement. La mauvaise habitude revient, je les pose n’importe où, machinalement, dans un endroit que je ne choisis pas !

                Le téléphone sonne, c’est mon amie Jo qui va me communiquer des renseignements que je dois noter. Comment mettre la main sur mes lunettes devenues indispensables ? Jo attend et moi… je cherche.

                Enfin les voici. Je sais qu’il en sera ainsi toute la journée. Pour ne plus connaître pareille situation, que dois-je faire ? Je me refuse à les suspendre autour de mon cou tel un collier de verre et de métal qui se briserait au premier choc. Pas davantage à les porter au-dessus de mon front, mêlées à mes cheveux ; je trouve cela ridicule et dangereux.

                J’imagine, chez les opticiens, le nombre de paires, victimes de ces imprudences dans l’attente d’une hypothétique remise en état !

                Pour ce qui me concerne, c’est une question d’attention. Ou, je m’astreins à bien choisir un endroit pour les déposer, toujours le même, ou j’opte pour des lunettes avec des verres à double foyers (dont une partie serait neutre). Une façon d’être libérée de ce souci permanent !

     

    Bernadette - 12 mars 2015


    votre commentaire
  • LE DAHU

     

                Invitée par des amis à séjourner dans une station de ski en Savoie, je me réjouissais de cette aventure à laquelle je n’étais pas préparée. Ski, raquettes, avaient depuis longtemps rejoint ma boîte à souvenirs.

                Une idée, peut-être de derrière la tête, allait enfin pouvoir s’exprimer. L’occasion m’était enfin donnée de découvrir cet animal saugrenu, étrange dont j’avais maintes fois entendu parler.

                Je partis donc. Une marche dans la neige, sûrement très longue, s’imposait, il fallait gagner de l’altitude, c’est là que la rencontre aurait lieu.

                Premier objectif : trouver et observer les traces ; dans la neige fraîche, cela s’avérait facile. Minuscules pattes d’oiseaux, petits sabots des rongeurs en quête de nourriture, celles des chevreuils, des biches, plus affirmées. Fort heureusement, pas de loups dans la région.

                Les empreintes qui font l’objet de mes recherches doivent présenter un décalage, une différence de hauteur entre les pattes droites et les pattes gauches de l’animal. Celui-ci ne peut donc se déplacer que dans un sens sous peine de roulades accélérées.

                La bête que je traque, je la guette, transie de froid. En progressant lentement dans la forêt, j’aperçois soudain une tache sombre, volumineuse, dissimulée en partie sous quelques sapins. Je suis sûre d’avoir atteint mon but.

                Tout en préparant, jumelles, appareil photographique, j’approche doucement. Malgré mes précautions, l’animal d’un bon souple et agile que ne semble pas entraver une quelconque anomalie physique, disparaît dans la forêt. Au fait, celui que je cherche possède-t-il des bois sur sa tête ? Je n’en sais strictement rien.

                Hélas ! les traces laissées ne ressemblent nullement à celles que j’espérais trouver. Où est le décalage promis ?

                Abandonnant ma chimère, j’imagine le Dahu fuyant dans les sous-bois, emportant la légende faisant de lui un animal fantastique, fabuleux, inaccessible mais à la découverte duquel, les hommes continueront de rêver…

     

    Bernadette - 12 mars 2015


    votre commentaire