• Microfiction - Bousculade - Jean-Paul - 17/12/2015

    - Tout le monde a tué quelqu’un un jour ou l’autre.

    Avant même de naître, chacun porte sur la conscience, qu’il n’a pas encore, l’élimination de milliers de vies possibles. Votre première expérience de ce qui sera votre vie est une lutte à mort contre vos congénères, dans le court voyage qui vous conduit, noyés dans une glaire visqueuse, d’un corps obscur et chaud à un autre corps pareillement obscur et chaud, au travers de conduits tortueux et sans même entrevoir la moindre lueur, au moins dans l’immense majorité des cas. Dans cette gigantesque bousculade, la lutte est sans merci. On y jouerait volontiers des coudes si l’on en avait. Il s’agit d’écarter ses voisins, de se glisser vers l’avant de la meute, de s’immiscer dans la masse grouillante des anonymes qui ignorent encore, comme vous l’ignorez vous-même, qu’il n’y aura qu’un élu et que vous serez celui-là.

    - Enfin vous touchez au but mais vous n’êtes pas tiré d’affaire.

    Le temps vous est compté, la concurrence presse derrière vous, il vous reste à forcer le passage, à le forcer rapidement, avant que quiconque ne vous précède. C’est l’affaire d’un instant. Et à cet instant où vous pénétrez le saint des saints, vous éliminez froidement tous ceux qui ont lutté à vos côtés, sans un regard en arrière. Les innocents sont si rares que nous considérons qu’ils n’existent pas. Et de fait ils n’existeront jamais, leur courte présence ne les conduisant à rien qu’un néant d’où ils n’ont été tirés que pour vous porter, vous entraîner, comme ces cyclistes, équipiers de bas étage, qui s’extraient de temps à autre du peloton pour entretenir le rythme, fendre le vent ou relancer la machine au profit des quelques maîtres qui s’économisent dans leur sillage pour à la fin surgir et franchir la ligne en vainqueurs.

    - Vous êtes le vainqueur.

    Vous êtes celui qui a franchi la ligne avant les autres, celui qui montera sur le podium et obtiendra pour trophée un long séjour paradisiaque, logé, nourri, choyé. Vous vous habituerez à votre nouvelle vie, vous n’aurez aucun remord, pas une fois vous ne penserez à l’hécatombe dont vous fûtes coupable et à laquelle vous devez votre existence de rêve.

    - Les meilleures choses ont une fin.

    Vous apprendre brutalement que vitre séjour ne sera pas éternel et que de nouveaux combats vous attendent. Vous serez alors chassé de votre éden, malmené, pressé, écrasé, poussé, tiré et vous émergerez dans un froid terrible et aveuglant qui vous arrachera vos premiers cris et vos premières larmes. Pour vous venger de cette épreuve, il arrivera que vous preniez soin de vous accrocher suffisamment violemment à ce qui vous avait porté et qui maintenant vient de vous expulser pour lui prendre la vie dont vous tâcherez ensuite de faire bon usage.

     

    Jean-Paul - 17 décembre 2015


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