• Ils cavalaient derrière le chat

                                      Ils cavalaient derrière le chat

     

     Tout le monde a tué quelqu’un un jour ou l’autre. Ne vous méprenez pas, c’est notre jargon de thérapeute. Tout ça reste virtuel.  Vos confidences doivent vous éclaircir et vous redonner confiance. Vous vous reprochez un crime ?  Il est de mon devoir de vous dire qu’il n’est pas rare après avoir supporté la longue agonie de  votre femme de ressentir un tel malaise. Des jours entiers vous avez accompagné ses souffrances sans jamais pouvoir les soulager et vous vous sentez responsable. Vous avez fait ce que vous avez pu. Son décès  ne vous transforme pas en criminel. Alors pourquoi vous accusez- vous ? Ah ce n’est pas de votre femme dont vous parlez ? Pardon ? De rats ?

      D’une bande de rats qui courraient dans votre grenier, qui vous empêchaient de dormir, qui cavalaient même derrière votre chat ? C’est de ce crime-là dont vous me parlez ?  La semaine dernière vous me confiez être incapable de faire du «  mal à une mouche », c’est votre expression. Vous m’avez même raconté qu’enfant, la vue d’atrocité infligée à un animal vous rendait nerveux et triste. Vous êtes même allé jusqu’à m’expliquer que cette empathie envers la cause animale découlait directement de vos croyances plus ou moins obsessionnelles. Dans une de vos vies antérieures vous deviez être souris. C’est bien ça, souris ? Et donc devant cette invasion vous avez préféré laisser agir votre femme ? Non vous, vous auriez préféré un dératiseur, mais c’est elle qui a décidé de s’en charger et vous n’avez pas eu la force de l’en dissuader… Elle s’est procurée de la mort aux rats et a disséminé ces petites pastilles rouges dans tous les recoins des combles. Une semaine après c’était une véritable hécatombe ! Ils étaient coupables ? Ils vous empoisonnaient la vie ? Oui, oui, j’ai noté votre remarque. « Les innocents sont si rares que nous considérons qu’ils n’existent pas ». C’est ça ? Une semaine après, ce génocide, c’est encore votre expression, vous a rendu perplexe. Vous avez observé votre femme remiser ces petits corps desséchés et désarticulés dans une poche en plastique. Vous avez mesuré  sa satisfaction, sa détermination, sa jouissance tandis qu’elle se penchait sur ses cadavres décharnés, ses yeux brillaient, ses lèvres humides scintillaient, sa main gantée les soulevait par la queue, les soupesait et sa voix nasillarde ricanait. Une autre image d’elle que vous ne connaissiez pas. Trente ans de vie commune et vous me dites découvrir ses gestes et cette attitude que vous qualifiez de « cruels ». Mais n’étaient-ils pas nécessaires ? Vous m’aviez déjà parlé de son autorité ? Voire de son autoritarisme ? Vous n’aviez jamais dénigré ses comportements, je ne comprends pas votre surprise, votre dégout ? Vous avez eu peur ? En fait sa manière de prendre les choses en main vous a effrayé ? Vous n’avez pas su réagir ?  Qu’avez-vous fait ? Vous avez remis de l’ordre dans la sous-pente, rangé le poison dans une boite de fer blanc comme elle vous l’a ordonné. Vous avez dessiné sur le couvercle une tête de mort et d’un marqueur épais inscris le mot « danger ». Et vous l’avez oubliée…

      Et donc depuis la mort de votre femme tout cela vous revient à la mémoire. Les rats, le grenier, son visage résolu et déformé, ses yeux froids et déterminés, sa certitude, son efficacité, sa radicalité, les petites pastilles rouges et la boite !


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